Amis nous sommes envoyés derrière les murs des solitudes

Publié le 16 Janvier 2010

Lyc-ens 0036Au début, on se raconte tous une rencontre que nous avons depuis la dernière rencontre. Brigitte raconte :

« Moi, c’était à Noël, le matin, nous avons fait une célébration au centre pénitentiaire. Il y avait 80 personnes en détention qui étaient là, de toutes nationalités, horizons… Nous avions tous un grand respect les uns pour les autres. C’était très beau.


« Connaissez-vous le centre pénitentiaire de Longuenesse ?


SOLENE :  On passe parfois devant oui, on voit où c’est…

« Oui, c’est sur le plateau des Bruyères. Il y a là-bas 600 à 700 personnes détenues, réparties en trois groupes. Le quartier des mineurs accueille les jeunes à partir de 14 ans (c’est la loi en France, mais à Longuenesse, les plus jeunes ont 15 ans), ils sont complètement isolés des autres. Il y a la maison d’arrêt pour les gens qui ne sont pas encore jugés. L’administration pénitentiaire doit les accueillir alors parfois ils sont trop nombreux, s’il n’y a plus de place. Dans les cellules de 9m² conçues pour deux personnes, ils se retrouvent à trois, cela crée des complications. Ils sont complètement enfermés dans leur cellule et ne peuvent pas en sortir sans un surveillant. Ils restent là jusqu’au procès et parfois plus s’ils font appel par exemple. Et enfin, il y a le centre de détention. Les détenus sont déjà jugés, ils connaissent leur peine, ils savent où ils en sont. Ils ont une cellule pour eux seuls et peuvent sortir sur le palier. Ils ont un peu plus de liberté de manœuvre si on peut dire.

« Dans le centre il y a environ un tiers de musulmans et le reste de culture chrétienne. Il y a trente-cinq nationalités.

Lyc-ens 0037-copie-1« Et nous, que fait-on là ? Roger est l’aumônier titulaire, il a le droit d’aller partout, rencontrer les détenus dans leur cellule par exemple, il peut recevoir des courriers non censurés. Nous sommes trois auxiliaires avec lui, et nous ne pouvons pas aller partout.

« On essaye d’avoir des rencontres en humanité. Leur délit n’est pas marqué sur leur front. On va rencontrer des frères, frères chrétiens, parfois musulmans même si ce n’est pas évident. A l’aumônerie de la prison il y a des groupes qui réunissent des gens qui ont envie de réfléchir. Une fois par mois nous célébrons la messe. Pendant les cercles bibliques on prend les textes du dimanche et on les partage ensemble. C’est vraiment un partage. Dans l’Evangile, on trouve des paroles de vie pour chacun de nous. On ne parle par que de Dieu, il arrive souvent de parler de leur vie. La semaine dernière, par exemple c’était le baptême du Christ. Et l’un me dit : ‘Mais, tu parles du baptême, mais alors c’est comme le mariage, c’est tous les jours qu’on le renouvelle’. C’est derrière les murs que j’ai découvert cela !


MEGANE : Ce doit quand même être l’horreur d’être en cellule. 15 ans, c’est long…

THOMAS : Ouais, et puis c’est assez mal fait ; la maison d’arrêt, alors qu’on n’est pas encore jugés, peut-être innocent, on a les conditions les plus dures…

BENOÎT : 3 dans 9m², je pèterais un câble !

« C’est un monde qui génère de la violence ! Imaginez, si l’un aime le foot et veut le regarder à la télé, que l’autre ne veut absolument pas, qu’il n’aime pas ça…

SOLENE : On se demandait, par rapport à la tolérance, ça ne doit pas être tellement facile de rester tolérant.

« Vous savez, les problèmes de dehors sont aussi dedans… Une anecdote, demain, c’est la journée des migrants. L’an passé pour cette journée j’étais à l’intérieur, et nous discutions des migrants, je leur disais qu’ils en connaissaient certainement. Ils ont alors, certains d’entre eux, réagit en disant qu’ils prenaient leur place, que s’ils étaient serrés c’était aussi leur faute… Comme quoi, les problèmes du dehors sont aussi dedans.

SIMON : L’entassement, ce ne doit pas être facile à vivre !

BENOÎT : Comment ça se passe dans leur cellule ? Comment est-elle ? Ils ont la télé ?

« Oui, ils ont la télé, ils en partagent les frais tous les moi. Certains ont des PC mais pas internet !

Lyc-ens 0038SIMON : Et dans les 9m², ils ont des toilettes et tout ?

« Et tout ? Tu veux parler de douches par exemple. Eh bien ils n’ont pas de douches, ils ont juste un cabinet et un lavabo… et pas de murs. Il y a un rideau. On profite de tout sauf de la vue. Ils ont le droit à deux douches par semaines, ils doivent attendre leur tour, c’est comme pour les parloirs, les visites, il n’y a pas toujours de place. Ce sont des conditions qui créent la violence.

BENOÎT : Comment arrivent-ils à vivre leur foi dans un centre de détention ? Comment aller vers l’autre ? Des sacrements se vivent-ils ?

« Pour les sacrements, il y a l’eucharistie, une fois par mois. On ne se pose pas trop la question de savoir s’ils ont déjà communié ou non. On a fait un baptême. Mais c’est plus facile dans le centre de détention, les gens y sont pour plus longtemps, alors on peut prévoir… Il y a des sacrements de réconciliation, mais le pardon est une notion qui prend du temps à aborder en détention. C’est essentiellement l’eucharistie en fait.

« Et comment vivent-ils leur foi ? Eh bien par des choses très ténues ; le simple fait de ne pas faire la tête à son codétenu par exemple, ce peut-être une démarche de foi. Il y a aussi des démarches de pardon, entre eux. L’autre jour, deux détenus en sont venus aux mains dans mon groupe, c’était la première fois. Bon, ça s’est bien terminé. Celui qui avait été agressé voulait porter plainte. Puis il est revenu ensuite en disant que non, qu’en tant que chrétien il ne pouvait pas. L’autre est venu s’excuser auprès du détenu agressé et de moi pour avoir perturbé le groupe. Ce sont des moments forts. Et puis, il y a la prière, même si encore une fois ce n’est pas facile.

« Mais vivre sa foi commence par l’humanité. On est chacun aimé de Dieu, on a du prix à ses yeux. C’est pour ça que je suis là, dans les prisons.

FRANCOIS : Justement, comment vous êtes vous retrouvée derrière les murs ?

« Une équipe ne vit pas toute seule, elle se renouvelle, on appelle des gens. Un jour, une vieille amie m’a dit qu’elle me verrait bien là, alors j’ai servi le café aux familles. Ca ça, allait encore, je pouvais faire. Et puis elle m’a dit que je devrais faire partie de l’équipe élargie de l’aumônerie, qui soutenait l’aumônier et ses auxiliaires. Je pouvais encore mettre le pied là. Et puis on a cherché quelqu’un pour aller à l’intérieur. On cherchait surtout des hommes mais un moment Roger a dit pourquoi pas une femme… Et il a dit, et pourquoi pas toi. Je me suis pas mal posé la question, j’ai prié, et puis…

SIMON : Est-ce que les valeurs de la tolérance et de la foi prennent le dessus sur les préjugés ?

« Ouh la ! Rude question ! Et est-ce que vous ne la vous posez pas souvent vous aussi ? Quand vous venez à l’aumônerie, vous n’êtes pas majoritaires dans vos lycées. Et pourtant… Là-bas, en prison, il y en a qui sont très cathos, et il y a des préjugés. En détention, on dit que ceux qui ont eu des affaires de mœurs viennent à l’aumônerie. Je ne sais pas pourquoi ils sont là, mais pourtant ce ne sont pas que des affaires de mœurs, je vous l’assure…

« Des gens me demandent parfois ce que je fais là. Si c’est gens sont là, en prison, ils l’ont sûrement bien mérité, après tout. Ce n’est pas toujours compris. Pour Noël, ma petite fille m’en voulait que je ne sois pas là le 25 décembre le matin. Je lui ai dit qu’il y avait des pères de famille dans les détenus et que si nous n’y allions pas, ils allaient passer Noël tout seul. C’était pour elle une façon de vivre sa foi, de partager sa grand-mère le jour de Noël. Mais ce n’est pas facile. Ils ont du prix à mes yeux, et je ne serais pas là si je n’étais pas persuadée de ça !

FLORENCE : Justement, peut-être que certains surveillants de prison sont là aussi pour soutenir, aider…

« Oui, certains sont plus éducateurs que matons…

FLORENCE : Quelle chance ont-ils lorsqu’ils sont devant la porte de sortie ?

« Ca dépend de qui les attend à la sortie. S’il n’y a personne c’est dur. Il y a des associations qui aident les gens qui sortent de prisons. Emmaüs en accueillent certains. Mais il faut imaginer que certains d’entre eux n’ont jamais manipulé un euros !

MEGANE : Et après 15 ans, les familles sont-elles encore là ?

« il y a des familles qui sont d’une fidélité extraordinaire. Une maman venait de Rennes voir son fils ! Vous imaginez, pour trois quart d’heure de visite. Une fidélité extraordinaire. Et avec des enfants en bas âge parfois. Mais ils sont là. Y’a des familles chapeau ! Mais avec le temps certaines familles se lassent, d’autres qui n’acceptaient pas au départ, acceptent… Ca dépend.

SIMON : Votre regard change-t-il si vous savez ce qu’ils ont fait ?

«  Mon regard ne change pas. Ce n’est pas important. Je comprends parfois mieux leurs réactions. Quand ont lit parfois des choses dans les journaux, il vaut mieux ne pas savoir non plus pourquoi ils sont là.

« L’homme ne se réduit pas à sa faute. »

Rédigé par AEP Saint-O

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